On pourrait croire qu’on vit un âge d’or du jeu vidéo : les graphismes sont presque toujours plus réalistes. Les moteurs de plus en plus perfectionnés, les ambitions ne manquent pas. Et pourtant, l’écosystème qui soutient cette industrie est en train de s’auto-dévorer. Entre composants surpuissants hors de prix et indisponibles, stratégies de marché douteuses et expériences de jeu toujours plus frustrantes, les signaux sont clairs : quelque chose ne tourne pas rond. Le secteur a changé de mains, de celles de passionnés à celles des investisseurs…

Nvidia : droit dans le mur

Impossible de faire ce sujet sans parler de Nvidia. Depuis plusieurs générations, la firme pousse coûte que coûte des technologies qui n’apportent pas toujours le bénéfice attendu pour le joueur moyen. Le Raytracing ? Sur le papier, c’est beau. En pratique, c’est une option gourmande qui plombe les performances sans transformer radicalement l’expérience de jeu.

Mais ce n’est pas tout, un mal terrible ronge une bonne partie des RTX la VRAM limitée. Bien souvent en deçà des besoins réels des jeux modernes. Résultat ? Même avec une carte de dernière génération, certains titres sont déjà injouables, y compris en 1080p. Sur le long terme, des modèles moins puissants vieilliront mieux. Et ce n’est pas un hasard : Nvidia a compris ses erreurs et segmente volontairement son offre. Pour forcer à renouveler son matériel, monter en gamme, quitte à sacrifier les cartes les plus accessibles, pourtant les plus plébiscitées.

Prix et (in)disponibilité : double peine

Et encore faut-il pouvoir acheter une carte graphique. Car au-delà de leurs limitations techniques, les GPU sont devenus des objets de luxe. Les prix ont explosé depuis la pandémie, avec une demande boostée par les cryptomonnaies, l’intelligence artificielle, et surtout la spéculation. En dehors des ultra flagship titan, les Geforce restaient sous les 1000€. Depuis les 3080, le haut de gamme dépasse allègrement les 1 500 €. On frôle le budget d’un PC complet il y a encore quelques années.

Le problème, c’est que ces cartes ne sont plus seulement destinées aux joueurs. L’essor de l’IA les rend indispensables dans d’autres domaines, bien plus rentables. Nvidia le sait, et oriente désormais sa production en priorité vers les secteurs professionnels, au détriment du marché gaming. Résultat : des ruptures de stock chroniques, des hausses de prix artificielles, et un sentiment de dépossession pour les joueurs, qui se retrouvent relégués au second plan. Et ne peuvent même se retourner vers la concurrence qui souffre du même souci de stock.

Une fracture qui s’agrandit

Pendant ce temps, les dernières études de Steam le confirme, la majorité des joueurs utilisent encore du matériel ancien. Des millions de joueurs sont encore équipés GTX 1060, 1660 ou des premières RTX 2060. Côté processeurs, les premiers 6 grands publics, Ryzen 5 3600 ou les Intel i5 depuis la 8ème génération sont encore largement présents. Et pour cause : difficile de justifier un upgrade complet quand chaque composant coûte une fortune. Or, les développeurs – et surtout les éditeurs – semblent l’oublier. De plus en plus de jeux sont optimisés uniquement pour les configs haut de gamme, avec un certain mépris pour les configurations plus modestes.

Pourtant, tout le monde paraît dans le déni, déconnecté de la réalité. Une partie de la responsabilité incombe aussi aux créateurs de contenu et reviewers tech. Une grande majorité d’entre eux se focalisent sur les performances Raytracing avec des cartes haut de gamme (RTX 4090, 78000X3D) sans se poser la question. Mais en vrai, la majorité de l’audience se demande plutôt s’il faut acheter une 5060 pour jouer à Doom sur sa config qui a 5 ans. Ce décalage empêche les joueurs d’estimer l’expérience réelle qu’ils auront avec leur matériel. Pire, il a fallu un temps pour que l’on voit le souci des B580 (pensées pour l’entrée de gamme) avec des CPU entrés de gamme.

Une industrie en décalage avec sa base, prix et contenu des jeux

Pour ajouter à la frustration, des jeux de plus en plus chers. Qui se ressemblent tous à l’ère des AAA à 80€ sous UE5. Et si encore, on avait des produits finis pour ce prix-là… Mais non : c’est la norme d’avoir désormais des jeux buggés, aux patchs day one de 40 Go, et aux saisons de contenu vides. Par contre, pour taper sur le Game-As-A-Service comme Helldivers 2, il y a du monde. Prenons StarWars Battlefront 1, le jeu est médiocre, hanté par les tricheurs sans que l’éditer ne lève un doigt. Pourtant, un moteur de 2013… qui offre des graphismes dignes de 2025.  Les éditeurs préfèrent teaser sur des promesses marketing que sur une expérience solide. L’exemple le plus emblématique reste peut-être Cyberpunk 2077 à son lancement. Les équipes de studios emblématiques sont remerciées ou priées de se taire quand on coupe les fonctionnalités du jeu.

Le paradoxe est frappant : jamais l’industrie n’a généré autant de revenus, et pourtant, jamais, elle n’a semblé aussi déconnectée de sa base. Les studios visent le court terme, les actionnaires, les tendances TikTok. Le joueur moyen, lui, est prié de suivre ou de rester sur Apex Legends en 1080p low sans nouveau contenu s’il vous plait. Ce modèle n’est aucunement soutenable. Une partie des joueurs décroche, lassés de devoir investir des sommes folles pour un gain d’expérience marginal. D’autres se tournent vers les jeux indés, ou retournent aux classiques qui fonctionnent encore parfaitement sur du matériel ancien avec un peu d’émulation.

Console et mobiles des faux amis ?

Je pourrais parler de l’effet console, il y avait deux monde puis le crossplay à changer la donne. L’AIM assist a divisé un peu plus les joueurs. Mais ce n’est pas tout, quand les GPU sont toujours annoncés pour du 1080p et que le marketing nous assure ce que c’est ce que les joueurs veulent. Les consoles nous promettent une expérience 4k sans concession sur un hardware qui a cinq ans. La promesse n’est pas tenue (enfin si à coup d’upscaling) mais elle impacte le reste. Si les joueurs console peuvent d’avoir 120fps sur Call Of Duty en 4k, pour jouer contre eux, il faut que mon PC le fasse aussi.

Pendant que les PC et consoles s’embourbent dans des configurations délirantes et des promesses graphiques intenables. Le jeu mobile fait son petit bonhomme de chemin, continue de croître… en silence. Sur Android et iOS, les joueurs sont des milliards à lancer Genshin Impact, Call of Duty Mobile ou Clash Royale. L’essentiel y est : accessibilité, portabilité, réactivité. Le mobile a compris ce que l’industrie traditionnelle semble avoir oublié : les joueurs veulent jouer, se distraire.

Le modèle économique est très discutable (microtransactions omniprésentes, clin d’œil à Starwars et Company of Heroes 3). Toutefois, le mobile propose une expérience de jeu immédiate, fluide et adaptée aux contraintes matérielles. J’aurais voulu dire sans jamais se soucier de Raytracing ou de DLSS, mais on voit arriver des smartphones 120Hz &co.

steamdeck, SteamOS : jouer autrement, sans surpromesse

Face à cette fuite en avant technologique, certaines initiatives proposent un autre modèle. La steamdeck de Valve en est l’un des meilleurs exemples. Pas de 4K, pas de Raytracing, de HDR ou 480Hz avec des specs délirantes. Juste une machine cohérente, équilibrée. Surtout pensée pour les joueurs et conçue autour de ce que les joueurs font réellement : jouer à 720p/800p. En mobilité, dans le lit ou sur un canapé. Avec une interface fluide, famillière, un (steam)OS réactif et optimisé pour le jeu.

Cette solution peut se targuer d’avoir démontré qu’on pouvait proposer une expérience de jeu décente, même sur du matériel modeste. Il y a eu certes un emballant de la concurrence avec la ROG Ally ou le Lenovo Legion Go surfent sur cette même vague, en cherchant un compromis intelligent entre puissance, autonomie et format. Avoir après chercher à promettre la lune, elles reviennent sur leurs pas et livrent une expérience cohérente avec l’usage, à défaut d’avoir un prix correct.

Conclusion : un avenir à rebâtir

Le jeu vidéo n’est pas mort, loin de là. Mais son infrastructure actuelle, elle, est à bout de souffle. Nvidia ne pourra pas forcer éternellement l’adoption de technologies inaccessibles. Les développeurs devront réapprendre à optimiser pour une base installée réaliste. Les reviewers auront intérêt à sortir de la zone de confort pour parler de ce qui intéresse vraiment les joueurs. Sinon, c’est simple : l’industrie perdra peu à peu sa communauté. Non pas par lassitude du jeu, mais par saturation de l’écosystème. Le jeu vidéo ne mourra pas de désintérêt. Il mourra de lui-même, consumé par ses propres excès. Si une partie de l’industrie ne veut pas écouter les joueurs, certains, acteurs comme Valve eux, malgré les controverses, n’ont jamais oublié qu’ils sont par les joueurs pour les joueurs.

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