Depuis quelques semaines, un phénomène dévastateur secoue le marché du PC : le prix de la NAND a explosé face à la demande IA. Les kits DDR5 de 32 Go flirtent désormais avec les 500 €, la DDR4 retrouve ses tarifs de 2020 avec des modules 16 Go souvent au-dessus de 100 €, et cette brusque tension sur les prix redistribue entièrement les cartes. La RAM devient soudain un produit de luxe. Et l’impact est bien plus large qu’il n’y paraît. C’est un coup de massue sur tout un segment déjà fragilisé : l’entrée de gamme.
Le glissement vers le haut, facteur d’exclusion
Le budget serré, qui jusqu’ici obligeait à faire quelques compromis intelligents, devient quasiment intenable. Les assembleurs low-cost et autres bidouilleurs, voient leur modèle exploser en plein vol. Là où en octobre une barrette de 16 Go coûtait le prix d’un bon repas, elle représente aujourd’hui le prix d’un GPU.
C’est aussi une mauvaise nouvelle pour les acheteurs de machines reconditionnées. Le marché qui avait trouvé son équilibre grâce à la DDR4 bon marché. Beaucoup vont se retrouver coincés. La RAM, qui constituait l’upgrade-alibi pour donner une seconde vie à un vieux ThinkCentre ou une vieille plateforme Skylake/AM4, plombe désormais l’équation. Acheter 2 PC avec 8 Go sera moins cher qu’acheter un kit de 16 Go. Les configurations sans ram vont venir inonder un marché déjà saturé. Pire encore : les configurations ITX, avec leurs deux malheureux slots mémoire, risquent de devenir intenable quand on devra empiler les barrettes de 2 et 4 Go.
C’était mieux avant ?
On a connu la pénurie de GPU, au moment où l’industrie trouvait son rythme. La machine grince de nouveau pourtant… Il y a dix ans, le PC accessible n’était pas une légende urbaine. On avait :
– Des GPU neufs à 80 € (la GT 1030), un palier confortable à 150 € (GTX 1050 Ti).
– Des CPU entrée de gamme chez AMD et Intel dès le Pentium à 60€…
– Des cartes mères au rapport qualité-prix encore cohérent sous les 80€.
– De la DDR3/DDR4 presque jetable tellement elle coûtait peu.
Aujourd’hui, force est de constater que l’entrée de gamme GPU a tout simplement disparu. AMD ne propose plus de vrais CPU low-cost. Hors Aliexpress, le ticket d’entrée en AM5 dépasse les 400€. Intel réduit progressivement son offre, les Ultra 3 sont toujours invisibles. Les cartes mères, génération après génération, deviennent plus chères sans que les usages réels justifient l’inflation. Le stockage reste raisonnable, mais n’est plus l’aubaine d’avant les cryptos. La RAM, désormais hors de portée, achève ce que les fabricants ont commencé : l’effondrement du PC “trop bon marché”.
Adoucir la chute
Face à ce marché frileux, une nouvelle catégorie de contenu émerge : les “guides de survie en terre de RAMaggedon”. On y explique que finalement…
– Entre une DDR5 4800 CL40 et une DDR5 6000 CL26, en 1440p sur un GPU milieu de gamme, la différence est minime. On peut sans douter en dire autant avec la DDR4 2400 et 3600.
– 16 Go single channel, ce n’est pas si grave.
– 32 Go et +, c’est uniquement pour les monteurs vidéo et les streamers.
Comme toujours, il suffit de faire “les bons compromis”. Le problème, c’est que ces compromis ne tiennent pas dans tous les usages. Un APU Ryzen peut perdre jusqu’à 50 % de performances selon la configuration mémoire. Dans certains, 2×4 Go 3600 CL14 offrent un comportement bien plus sain que 1×16 Go 2400 CL18. Ce qui est sûr, c’est que le fameux “16 Go suffisent encore” est d’autant plus vrai dans la plupart des AAA même pour 2026. Mais peut-être pas quand le GPU n’a plus de Vram et c’est le serpent qui se mord la queue.
Pourquoi en est-on arrivé là ?
Derrière cette hausse, plusieurs forces se superposent. A chaque génération, la production mémoire suit des cycles d’excès puis de pénurie. Les industriels, après des années de prix bas, resserrent les flux. Les tarifs que nous avions jusqu’à la, étaient sans doute trop bas pour être viable. Comme quand la DDR3 s’est effondrée. De manière plus factuelle, le marché PC est moins volumineux qu’il y a dix ans. Moins de demande, moins d’économies d’échelle. On paye le ralentissement suite à l’euphorie post-covid. Les segments low-cost ne sont plus du tout rentables pour les constructeurs quand en face pro et data-centers peuvent payer. D’ailleurs, le data-center et l’IA poussent la demande vers le haut, ce qui légitime la montée des capacités… et des prix.
Le résultat : un marché pyramidal qui se vide par le bas, on l’a vu avec la disparition annoncée de Crucial.
Le PC d’entrée de gamme survivra-t-il ?
l’entrée de gamme va poursuivre sa mutation. Sans doute qu’elle sera brutale pour éviter la disparition. Plusieurs hypothèses vivront en parallèle, comme le reconditionné deviendra certainement la seule vraie porte d’entrée vers le PC pas cher, mais on fera sans doute l’impasse sur l’évolutivité. On sera encore plus dans le jetable. Ceux qui vont payer le prix fort pour l’AM5 risque de s’en mordre les doigts. A peu de choses près, le 5700X3D fera mieux que le 8400F pour moins cher pendant encore quelques années.
Il est fort que les mini-pc vont phagocyter le segment low-cost. Faute de mémoire pour contrer les GPUs d’occasion les APU desktop resteront la niche qu’ils sont. Le marché de l’occasion va se tendre petit à petit et on va voir des échanges PC sans ram ou GPU contre ram. Après une dizaine d’années glorieuses, le DIY va disparaitre comme à l’âge d’or des consoles.
A retenir
Le prix de la RAM n’est pas un simple souci : c’est un indicateur avancé de la transformation du marché. Lorsque même la mémoire, composant le plus banal et le plus facile à produire, devient un produit premium, c’est que l’écosystème change de paradigme. On avait eu la crise des GPUs mais elle n’avait impacté que gamers et mineurs. En tuant l’entrée de gamme et doublant les prix, le marché s’est stabilisé. La mort des crypto basées sur le stockage à faire redescendre les tarifs du stockage. Mais pour la ram, la bulle du data-center et des pro va difficilement se calmer. Pire, les particuliers au budget limité seront face aux mêmes distributeurs que les pro qui vont aligner les euros car ils auront besoin de machine quoi qu’il en soit, mathématiquement les prix resteront difficiles.
Le PC accessible n’est pas mort, mais il va devenir rare. Et comme tout ce qui devient rare, il devient cher. Pour certains, il sera temps de mettre en avant son art : celui de savoir faire avec moins, optimiser autrement, et comprendre que chaque compromis a un coût caché. La suite logique, c’est une redéfinition complète de ce qu’on appelle “une configuration entrée de gamme”. L’upgrade et le futur proof a perdu son sens de ce marché. L’ère où l’on montait un PC gamer en dessous de 800 € avec un sourire satisfait appartient désormais au passé. L’avenir se jouera sur l’ingéniosité et la capacité à contourner les limitations imposées par un marché qui ne veut plus jouer dans la cour des petits budgets. Pour les autres, la question ne se posait déjà pas. Avec une RTX5090 et 6 ventilateurs Noctua à 40€ pièce, 10% de plus sur le tarif final d’une config parce que la ram a triplée c’est peanuts.
Les réticences de Steam sur le prix de la steam machine tant décriée vont prendre du sens. Un pc mieux que 60% des PCs qui jouent pour un tarif que personne ne pourra égaler, même si cher, sera toujours mieux que rien du tout.
