Il fut un temps où chaque nouvelle année apportait son lot de chefs-d’œuvre vidéoludiques. Des titres qui marquaient les esprits, bousculaient les codes et redessinaient les contours de notre imaginaire de joueur, on peut penser à Titanfall, Doom. Mais aujourd’hui, malgré des budgets colossaux, des équipes à la taille d’une ville et des délais de développement qui frisent le ridicule, les grandes productions semblent tourner dans le vide. Pourquoi avons-nous le sentiment d’attendre indéfiniment pour des jeux moins marquants que ceux d’hier ? Et comment expliquer que ce sont souvent les studios indépendants qui portent désormais l’étendard de l’innovation ?

Non, ce n’est pas juste de la nostalgie.

Une Industrie au Rythme Brisé

Prenons un exemple : The Witcher 3 a été développé en 3 ans et demi par environ 250 personnes. Il est aujourd’hui encore considéré comme une référence du RPG. À l’inverse, Cyberpunk 2077, sorti du même endroit, a nécessité plus de 600 développeurs et près de 8 années de gestation. Le tout, pour le lancement désastreux comme l’on connait. La tendance se répète malheureusement. Des blockbusters ultra attendus, comme Starfield ou le prochain GTA, prennent des années à sortir, sans toujours justifier ce temps par une qualité proportionnelle.

Les raisons sont multiples : complexité technique croissante, ambitions de plus en plus folles, course au photoréalisme… Mais surtout, une mutation insidieuse de l’objectif des studios : on ne fait plus des jeux pour les joueurs, mais pour les actionnaires. S’agissant du photoréalisme, DICE avec les Battlefront ou Battlefield 1/5 a montré il y a 10 ans ce que l’on pouvait faire. En le faisant plus vite et mieux que ce qui est proposé maintenant.

Des Jeux Pensés pour Durer, Pas pour Plaire

L’industrie a glissé d’un modèle créatif vers une logique de rendement. Les titres AAA sont désormais conçus comme des plateformes persistantes, avec des mécaniques de rétention, les pass saisonniers, les microtransactions. Un modèle pensé pour garder le joueur « engagé » le plus longtemps possible. Cette tendance a accouché d’un phénomène absurde : les grands studios passent des années à créer des jeux… qui ne se terminent jamais. Des titres-service sans fin, des jeux abandonnés après une première saison, ou des open worlds vidées de leur substance et dilués à outrance.

Pendant ce temps, la scène indé secoue le cocotier

Heureusement, tout n’est pas sombre. Car dans le vide laissé par ces géants fatigués, des studios plus modestes s’infiltrent et nous rappellent ce que signifie réellement « prendre du plaisir à jouer ». Prenons Helldivers 2Clair Obscur: Expedition 33. Des projets portés par des équipes réduites, mais soudées par une vision claire. Souvent des vétérans du développement déçu des mega studios. Ils ne cherchent pas à plaire au plus grand nombre, ni à créer le prochain « univers », mais simplement à proposer un gameplay fun, cohérent, impactant.

Et la formule fonctionne. Ces jeux explosent les compteurs, surprennent la critique, fédèrent des communautés enthousiastes… et mettent l’industrie face à ses contradictions. Le pire c’est qu’ils arrivent plus rapidement, sont plus qualitatifs et moins chers.

Le Paradoxe du Joueur Moderne et des écartés

Le cœur du problème, c’est qu’une partie du public est devenue captive de ces routines absurdes. On joue encore à Fortnite, DOTA, Call of Duty, Counter-Strike… Non parce qu’on s’amuse, mais parce qu’on a l’habitude. Ce sont des titres sans fin, sans réel objectif, fréquemment maintenus sous respiration artificielle par des mises à jour saisonnières creuses Apex en est le meilleur exemple.

L’industrie a compris cette dépendance. Elle la cultive. Pourquoi risquer une nouvelle saga ambitieuse quand une énième itération de Warzone garantit des profits stables ? Les grandes firmes préfèrent entretenir l’illusion du mouvement plutôt que d’innover. Et tant pis si les joueurs plus expérimentés, ceux qui ont grandi avec Baldur’s Gate, Half-Life, Thief ou Mass Effect, ne s’y retrouvent plus. Pourtant, Valve le 1er a déçu tout le monde qui attend encore Half-Life 3.

Et c’est peut-être là le drame le plus silencieux du jeu vidéo moderne : il a abandonné une partie de sa communauté. Ceux qui jouaient déjà dans les années 90 ou 2000 sont aujourd’hui adultes, parents, avec moins de temps, mais toujours une passion intacte. Or, rien dans l’offre actuelle ne leur est réellement destiné. Trop de jeux sont calibrés pour les adolescents, trop centrés sur la répétition, le scoring, les cosmétiques. Très peu proposent des histoires puissantes, des mécaniques profondes, ou simplement… une vraie fin. L’expérience narrative a été sacrifiée sur l’autel de la monétisation continue. De tels jeux sont considérés élitistes ou trop loin des standards attendus, on peut penser à Titanfall 2, GTFO ou Doom The Dark Ages.

Le Risque de la Standardisation

Et paradoxalement, malgré les moyens colossaux, les jeux se ressemblent tous. Mêmes moteurs (souvent Unreal Engine), mêmes interfaces, mêmes types de missions (les années 2000 à 2015 centrées sur les quêtes Fedex). De partout, on retrouve les mêmes boucles de gameplay. On navigue entre des clones de Horizon, des dérivés de The Division, des succédanés de Far Cry. Le joueur ne rêve plus, il consomme.

L’espoir ne viendra plus des géants historiques, les éditeurs ne cherchent plus à marquer les esprits, mais à remplir des objectifs trimestriels. Mais combien de temps cela pourra-t-il durer ? Rockstar sort un jeu tous les dix ans. Bethesda recycle Skyrim à l’infini. Ubisoft multiplie les jeux « à monde ouvert » vides et interchangeables. Quant à EA ou Activision, ils ont depuis longtemps troqué la créativité contre la rentabilité à court terme.

En conclusion

Ce n’est pas la technologie qui manque, ni le talent. Ce qui fait défaut aujourd’hui dans le jeu vidéo AAA, c’est l’audace. Et quand celle-ci disparaît, le vide créatif s’installe.

L’innovation viendra d’ailleurs : de ces studios indépendants qui osent casser les codes, même avec peu de moyens. Parce qu’ils n’ont rien à perdre, ils osent tout. Ils testent, échouent parfois, mais créent. Et parfois, ils frappent fort. Il est temps aussi que les joueurs redonnent leur confiance à ces acteurs. Que l’industrie comprenne qu’on ne construit pas un lien durable avec des passes de combat ou des skins. Mais avec des émotions. Des idées. Des jeux qui nous marquent.

Heureusement, certains n’ont pas oublié pourquoi on joue. Pas pour remplir un tableau de progression. Mais pour explorer, rêver, vibrer. Et tant qu’il y aura des Clair Obscur, des Helldivers, ou des Hades, il y aura de l’espoir.

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