Ou comment les apps sont devenues des machines à happer l’esprit ?

Il fut un temps où une équipe produit, c’était un designer, deux devs et un marketeux qui essayaient ensemble de savoir ou placer des pop-ups. Aujourd’hui, c’est devenu un petit laboratoire comportemental où l’on croise data scientists, spécialistes des biais cognitifs et psychologues recrutés pour comprendre exactement ce qui fera glisser ton pouce encore une fois sur l’écran.

Non pas pour ton bien-être. Pour ton « temps passé ».

Pourquoi des psychologues dans les équipes produits ?

Parce qu’on ne vend plus des apps : on vend des minutes d’attention. Si la rentabilité dépend du temps que l’utilisateur reste enfermé dans l’écosystème, on va tout faire pour l’optimiser… Et ici ce qu’il faut optimiser c’est la manipulation de l’utilisateur. C’est froid, efficace, et profondément révélateur. Comprendre ces mécaniques n’est pas paranoïaque : c’est nécessaire pour récupérer son propre temps mental. Un peu comme démonter un objet pour voir où était la faille, avant de le reconstruire à sa façon.

Addiction… mais sous couverture

Dans les publications scientifiques, on évite encore le terme “addiction” au smartphone. Trop chargé de sens. Trop vrai, peut-être. Pourtant, les critères collent parfaitement : usage compulsif, récompenses variables, boucle de renforcement. Pourtant, de nombreuses organisations médicales et sociétés savantes reconnaissent déjà les addictions comportementales liées au numérique, et ce, depuis 2013. Le déni, lui, reste gratuit et on pourrait dire ironiquement open source.

Le téléphone, ce petit casino domestique aux effets biens réels

Les applis modernes utilisent les mêmes ressorts que les machines à sous : des signaux lumineux. Les jeux regorgent de récompenses imprévisibles, frisson anticipatoire. Le like qui survient “peut-être”. La vidéo qui “pourrait” te surprendre dans une liste de recommandations infinies. Tout est finement calibré par les équipes “behavioral”, qui ne cherchent pas à t’aider à aller mieux, mais à t’aider… à rester dans l’app.  Le produit, c’est ton attention. Le reste est décor.

Sommeil perturbé, anxiété, estime de soi qui disparait, baisse de concentration… les travaux s’accumulent sur la question et ils ne sont pas tendres. La petite distraction innocente a été remplacée par une armée de stimuli conçus pour court-circuiter certaines parties de notre cerveau. Le scroll infini n’est pas un accident de design. C’est un levier à dopamine pour nourrir notre cerveau de quelque chose qu’il apprécie encore plus que certaines poudres.

Le FOMO des produits et de la connaissance

Mais il y a un autre levier, encore plus subtil : la peur de manquer quelque chose. FOMO. FOMO de produits, bien sûr, mais aussi FOMO de connaissance. YouTube, newsletters, podcasts… Tout nous rappelle que la connaissance est le pouvoir et la richesse du futur. Chaque vidéo suggérée murmure : “Regarde, sinon tu passes à côté d’un truc crucial.” Résultat : on consomme en permanence, pris dans une pression constante de devoir apprendre ou découvrir avant les autres. C’est un stress numérique permanent, savamment entretenu.

Les cures de déconnexion, l’antidote de la désillusion ?

On entend beaucoup parler de “cures de déconnexion”. Elles peuvent être utiles ponctuellement, mais elles ne sont pas pour tout le monde ni la solution ultime. S’imposer un arrêt complet va créer de la frustration et n’enseigne pas à gérer son attention durablement. Mieux vaut réduire, choisir ses contenus, et se forcer à rien. L’idée est de ne plus scroller par automatisme ou par ennui, mais de consommer avec intention, même quelques minutes à la fois. Plutot que plonger dans une série petit bout par petit bout dès que l’on a quelques instants, il vaut mieux passer une soirée entre pote à se faire 6 ou 7 épisodes d’affilés.

Reprendre le contrôle, un service auto-hébergé à la fois

Là où ça devient intéressant et heureusement pour nous, c’est que la fuite n’est pas impossible. La communauté avait trouvé des astuces avec les bloqueurs de pubs. Comme j’ai pu le montrer, pi-hole et unbound font partie des outils qui permettent de retrouver le contrôle. Ensuite, on peut passer à l’optimisation (bloqueurs, filtres, notifications coupées). Ça aide, mais la vraie respiration vient aussi du rapport à un numérique plus sobre : le home lab, ses services auto-hébergés, des outils sans algorithmes accrocheurs.

Un Jellyfin n’a pas d’agenda secret.
Un Nextcloud ne te manipule pas avec des rappels.
Un serveur perso n’a aucun KPI à optimiser.

C’est du minimalisme cognitif déguisé en tech.

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