L’univers hardware ressemble de plus en plus à un spéctacle ambulant. Chaque année, on déplace la scène : un jour, c’est la guerre des cœurs CPU, le lendemain la fréquence, puis le 3D V-Cache. Ensuite, paraît-il que le PCI-Express x8 (ou le 3.0) va ruiner vos performances. Depuis un peu trop longtemps, derrière la tente, on crie à la pénurie de VRAM comme si c’était devenu l’ultime mètre-étalon moral. Si t’en as moins de 12 Go, c’est fini, tu n’es plus qu’un hérétique qui a fait son temps.
Pendant que cette pièce se rejoue encore et encore, Valve annonce sa nouvelle Steam Machine. Pour laquelle on prédit le même échec commercial que pour la steamdeck. Et pour cause, une configuration désuète dès la sortie. Comme un miracle de l’internet, la majorité des influenceurs grimace. “C’est trop faible”, “pas assez de VRAM”, “pas une vraie machine de gamers”. On a l’impression d’assister à un sketch.
Le gamer moderne vit dans un paradoxe permanent. On lui promet le “setup ultime”, une “expérience next-gen” dopée à l’UE5 et au Raytracing, la “fluidité absolue” avec des frames générées par IA. On dépense sans compter, ajuste son RGB sur une roue chromatique, change de GPU avant même que le précédent n’ait eu le temps de chauffer. Tout pour contempler l’écran de monitoring de l’AIO. Et au bout du compte… on est sur Hades et Stardew Valley en 1440p sur un écran ultrawide de 34 pouces.
On a transformé le plaisir de jouer en une performance économique. Le gamer est devenu une pompe à fric. Et les médias tech, souvent sans le vouloir, en sont les relais enthousiastes.
Les œillères du marketing
Pourtant, un petit cube de Steam avec ses Zen 4 six cœurs surement dérivé d’un Ryzen 8500G, accompagné d’une RX7600M et de 8 Go de VRAM. Aurait tout pour plaire ce qui est fascinant, c’est que cette machine enterre déjà plus de 60 % du parc Steam qui tourne en 1080p ou moins. Tout est pensé pour jouer, pas pour benchmarquer son ego. Toujours dans l’esprit Steam Deck. Une machine pour les joueurs, pas pour les “gamers”.
Le joueur veut que ça s’allume, que ça tourne, que ça amuse. Le gamer, lui, veut du 4K, tout à fond, 120 fps minimum, afin d’avoir l’impression que son achat est justifié. Et ça le rend parfois victime d’un marketing qui lui souffle : “Encore un upgrade. Tu peux avoir mieux.” Sérieusement ? La majorité des jeux consoles tournent à 30 fps, et personne ne s’en arrache les cheveux. Helldivers 2 est fun à 40 fps sur un steam deck de 7″ en 720p. Et il faut oser le dire, sur beaucoup de titres de 80 et 120 fps, la différence se ressent surtout au travers d’un overlay, d’un tableau Excel de benchs, pas dans le plaisir de jeu.
Il y a un point que je remets en question, même s’il n’est pas indispensable, c’est la résolution. On aura beau dire ce que l’on veut, le 1080p upscalé en 4k sera toujours plus fin que le 1080p natif. Et étrangement la com’ de Steam insiste là-dessus, comme si je n’étais pas si seul dans le faux.
Brouillard VS le mirage de la puissance
Cette confusion est partout. Prenons l’obsession du moment : le PCI-E. Dans l’immense majorité des cas, la version et le nombre de lignes changent que dalle ou presque. Quelques pourcents, invisibles en jeu. Mais dès qu’on force un cas très particulier, un GPU milieu de gamme en PCI-E x8 avec seulement 8 Go de VRAM, un jeu qui en demande 9 ou 10, et pourquoi pas un petit Ryzen 8400F limité en lignes, là, oui. Une perte réelle nette, violente de performances. Mais ce n’est pas universel, cela concerne des cartes comme la RTX 2060, la RX 6400. Le reste du temps, c’est anecdotique.
On critique la RTX 5060 et ses 8 Go de VRAM, mais c’est probablement la meilleure carte du marché en termes de rapport performances/prix, comme l’étaient les 3060Ti et 3070 avant elle. On la dénigre parce qu’elle ne colle pas à la norme imposée par les “gourous du hardware”, qui mesurent tout à coup de 1% et de “bottleneck” dans le futur, oubliant la seule métrique qui compte : est-ce que c’est fun à jouer ?
Cette rengaine de la VRAM est devenue parfois plus un totem qu’un critère. La RTX 3060 12 Go règne sur les commentaires YouTube comme un Graal : “12 Go = future proof”. Sauf que les jeux qui réclament 10 ou 11 Go sont aussi ceux qui réclament du muscle. Et là, la 3060 manque de bras. Elle sait afficher, mais elle ne sait pas performer. Une RTX5060 fera 90 fps en medium là où la 3060 fera 35 fps en high. À choisir, le plaisir ne se trouve pas dans la densité des textures, mais dans la globalité et la stabilité de l’expérience.
Le paradoxe, c’est que le marketing a réussi à nous débrancher du sens commun. On nous explique qu’il faut absolument une carte “x70 minimum”, qu’un écran 27 pouces, c’est “plus acceptable”, qu’en dessous de 120 fps, tu joues amputé d’une dimension. Pendant ce temps, les consoles vendues par millions tournent à 30 fps, et personne ne roule sous la table. Hades sur Steam Deck en 40 fps est fun. Stardew Valley ne demande ni 4K ni 16 Go de VRAM. La plupart des jeux n’ont jamais demandé la folie matérielle qu’on leur impose.
Sous-estimer la longévité hardware
Cette obsession du « toujours plus » à quelque chose de grotesque. On vend des AIO 360mm “indispensable” pour des processeurs qui consomment moins que les puces d’il y a dix ans. Même si dans la pratique, RaptorLake nous a montré le contraire… ici l’AIO, il aide bien. On ajoute des ventilateurs en façade jusqu’à transformer le boîtier en soufflerie de tunnel, sans rappeler qu’un simple ventilateur arrière associé à un ventirad tour est responsable de 80% des améliorations thermiques que l’on pourra observer. On parle de ventilateur ultra-efficace à 30€ pièce quand on peut avoir un lot de 3 Artic P12 à 11€ qui feront mieux.
Même chose côté graphismes : les options Ultra ou Epic sont toujours des totems marketing. Mais la vérité, c’est qu’un réglage Medium/High bien équilibré offre 95 % du rendu visuel pour 40 % de performances en plus. La différence visuelle ? Invisible quand on joue, flagrante sur la fluidité. Certains en ont fait une marque de fabrique en décortiquant les jeux et leurs options pour trouver les bons combo. Le gamer, lui, sait que la beauté d’un jeu ne se trouve pas dans les reflets d’une flaque en RTX, mais dans la direction artistique. Des Journey, Outer Wilds ou un Hollow Knight nous le rappellent sans forcer la carte graphique.
On oublie vite qu’un PC de 2014 n’est pas un fossile. Même si on redouble d’astuce logicielle (anticheat, Windows…) pour nous rappeler qu’il est temps de changer. Un vieux i5 Haswell avec une GTX Maxwell ou une Polaris continuent de faire tourner la majorité des titres actuels hors AAA. Ce combo, on le trouve parfois pour 50 € sur le marché de l’occasion, et il offre des performances “suffisantes” pour des millions des joueurs. Il suffit de se comparer au Steamdeck et titres les plus joués dessus. Un plus récent 5600G en 900p approchera les performances d’une GTX970 sans être limité par les 4 Go de Vram et offrira une experience proche du deck.
Mais le mot “suffisant” a disparu du vocabulaire tech. Il ne fait pas vendre. Alors, on l’a remplacé par “bottleneck”, “future proof” et “experience”. Traduction : “tu peux jouer, mais tu pourrais dépenser plus » sans assurer que la différence sera perceptible.
Rejouer le jeu
La tentation du toujours plus continuera d’éclairer les vitrines RGB, mais la durabilité se trouve dans l’usage. En tant que tel, le minimalisme n’est pas une privation. C’est un refus : le refus d’être défini par son matériel. C’est la recherche de l’essentiel, le juste équilibre entre performance, confort et plaisir. Et c’est précisément un concept qui s’applique pour nous les joueurs. Dans la simplicité. Dans le fait de lancer un jeu, de s’amuser, et d’oublier son overlay. Et à force de revenir à ce point de départ, on redécouvre quelque chose qu’on avait presque oublié : ce que ça fait, simplement, de jouer.
On confond souvent minimalisme et manque, alors qu’il s’agit simplement de choisir consciemment. Être un joueur, sans être minimaliste, c’est ne pas se sentir inférieur parce qu’on joue en 1080p. C’est ne plus courir après les benchmarks,. C’est refuser que le jeu vidéo devienne un concours d’égo matériel. Mais aussi préférer la cohérence à la surenchère. C’est se rappeler qu’un bon jeu vaut plus qu’une bonne config. Ce n’est pas un retour en arrière, mais une résistance à la frénésie du toujours plus. Une forme d’écologie mentale, presque : réduire le bruit, le superflu, la tentation du “prochain upgrade”.
Le matériel doit servir le jeu, pas l’inverse. Jouer sur une config simple, c’est se reconnecter à l’essentiel : au plaisir brut du gameplay.
